Contrairement au poulain qui tient debout au bout de quelques heures après sa naissance, l’enfant met de longs mois avant de parvenir à marcher. Certains chercheurs expliquent que cette immaturité motrice prend sens aux yeux de l’évolution de notre espèce. La position debout et la marche redressée auraient entrainé une modification de la forme et des dimensions du bassin de la femme mais permis en contrepartie de libérer nos membres antérieurs afin de favoriser l’utilisation d’outils.
Au fil du temps, les cerveaux les plus volumineux auraient été sélectionnés chez ces ancêtres lointains. Afin de permettre le passage de la tête du bébé dans le canal de la naissance, la nature aurait proposé un compromis en faisant naitre des bébés prématurément autant sur le plan physique que cérébral.
Pour compenser cette immaturité, elle a équipé le nouveau-né d’un certain nombre de programmes innés et inconscients qui portent le nom de réflexes archaïques.
Ils sont pour la plupart présents in utéro et certains assistent l’accouchement pour favoriser un positionnement et une mobilité adéquate de l’enfant dans le bassin.
Ces réflexes constituent des programmes d’urgence mis à disposition pour assurer la survie du nouveau-né, le porter vers une motricité volontaire mais aussi pour le soutenir dans son développement cérébral !
En effet, à la naissance les différentes parties du cerveau sont en place mais ne fonctionnent pas encore pleinement ensemble. Pour arriver à cette maturité, des connexions doivent être établies. Grâce à la répétition naturelle et spontanée de séquences de mouvements réflexes du corps, les fibres nerveuses vont pouvoir se développer et former un réseau de communication entre toutes les parties du système nerveux.
Chaque réflexe, en réaction à un stimulus sensoriels spécifique, émerge à un moment précis, sert au développement du système corps – esprit puis va s’intégrer pour laisser la place à d’autres schèmes moteurs.
Ces réflexes, à l’image des lettres de l’alphabet, constituent des unités de base à partir desquelles se composeront les séquences de mouvements contrôlés. Ce système représente également le socle sur lequel viendront se déposer les compétences plus évoluées comme les capacités cognitives.
En 1957, Arnold Gesell écrivait : « L’organisation prénatale est, bien entendu, fondamentale pour tout ce qui se passera dans l’avenir. Elle est aussi le terme d’un long passé. Dans une perceptive biologique, le nouveau-né est très vieux, car il a déjà traversé bien des stades de la longue évolution de sa race. Y’a-t-il quelque chose qui ne soit pas mouvement ? Tout dans la pensée ne dépend-t-il pas de processus moteurs, d’ajustement et de réajustements posturaux ? »
Rôles spécifiques de certains réflexes archaïques:
Quelques minutes après l’accouchement, bébé est posé sur le ventre de sa mère. Sous les yeux ébahis de maman et papa, il se met à ramper vers le sein et découvre avec joie une nouvelle forme d’alimentation aussi nutritive que réconfortante puisqu’elle entretient le lien d’attachement avec maman. Alors qu’il tête goulument, ses mains pétrissent le sein et ses pieds s’activent pour se maintenir blotti contre sa mère. Bébé est déjà prêt pour se nourrir puisque son réflexe de succion apparait dès la 14ème semaine in utéro. Bébé est d’ailleurs parfois pris en flagrant délit en train de sucer son pouce lors des échographies.
Plus tard, lorsqu’il est mis sur le dos pour dormir, il lui est difficile de trouver le sommeil. Son réflexe de Moro déclenche d’abord un sursaut et génère en lui une sensation de désorientation et de désorganisation lorsque sa tête part vers l’arrière. Il faut dire que jusqu’à présent, il était bien contenu dans le ventre de maman recroquevillé sur lui-même (grâce à son réflexe tonique labyrinthique en flexion) et ne ressentait pas encore les effets de la pesanteur. Ensuite, le sursaut provoqué agit comme un appel invitant maman ou papa à le prendre dans leurs bras pour le rassembler et lui faire retrouver la sécurité de la position fœtale. De cette manière, les hormones de stress, produites lors de l’activation du réflexe de Moro, chutent progressivement. A l’image de la fleur, ce réflexe se caractérise par une phase d’ouverture suivi d’une phase de fermeture. Les fonctions clés de celui-ci sont de préparer le nourrisson à garder sa tête dans l’axe vertical et de s’assoir puis de se tenir debout par lui-même.
De nouveau sur le dos, un autre réflexe joue encore des tours à bébé lorsque sa tête s’oriente à gauche ou à droite. Il s’agit ici du réflexe tonique asymétriques du cou (RTAC) qui est activé par le bruit ou l’objet perçu à droite ou à gauche de bébé. Ces stimuli activent la rotation de la tête qui engendre à son tour des mouvements sur les membres périphériques : Alors que la jambe et le bras du côté du visage s’étendent, ceux du côté occipital se fléchissent.
La découverte de la fonctionnalité du corps de bébé en alternance entre la gauche et la droite joue un rôle majeur dans le développement de la dominance oculaire et auriculaire ainsi que dans la coordination yeux-oreilles. Ainsi, la coordination entre la réaction au son et la rotation de la tête se développe, ce qui activera à terme les processus d’observation, d’attention et de mémorisation.
Le RTAC travaille de pair avec le réflexe de Babkin. Cette fois-ci, le stimulus est de nature kinesthésique. Le travail se fait toujours soit d’un côté, soit de l’autre, de sorte à renforcer la conscience de bébé de la présence de ses deux hémicorps. Par exemple, à la vue d’un objet sur le sol, son bras se tend du côté où la tête est tournée pour s’en saisir. L’action de refermer le poing sur cet objet déclenche à son tour le mouvement de la main vers la bouche. Ces deux réflexes sollicitent la vue, le toucher et le goût résumant bien la dimension multisensorielle de l’exploration du monde de bébé.
A partir de son deuxième mois de vie, ses parents prendront plaisir à observer le réflexe de Landau. Lorsqu’il est soutenu en position ventrale, tel un avion en vol, il est capable de lever sa tête, son tronc et ses jambes. Mais ce réflexe s’active également lorsqu’il est placé au sol sur le ventre. C’est la première fois qu’il prend conscience de la verticalité du monde et dans cette position la gravité pèse lourd sur sa tête. Néanmoins, elle lui est utile pour muscler son dos en stimulant le tonus des muscles du cou, des bras et des jambes. C’est aussi l’occasion pour lui de développer la coordination supérieure et inférieure du corps ainsi que les parties antérieures et postérieures. Cette position ventrale participe au développement de son système visuelle en lui procurant une vision de l’espace plus élaborée avec laquelle il lui est possible de faire des allers retour entre des détails et la vue d’ensemble.
Mais bébé va devoir être patient avant d’atteindre le prochain stade de développement : la motricité volontaire. Chaque jour sur son tapis de jeu, il élabore des stratégies avec des combinaisons motrices multiples pour aller rejoindre son objet préféré. Ses pieds ne parviennent pas encore à s’ancrer au sol pour lui permettre de ramper puisque son réflexe de Babinski est encore trop actif. C’est pourtant bien ce réflexe du pied qui prépare bébé au jour où il pourra se tenir debout !
En attendant, c’est le réflexe d’orientation de Pavlov qui réveille sa curiosité à partir de multiples stimuli et qui l’entraine avec détermination dans cet apprentissage de la vie. C’est grâce à lui que bébé ne baisse pas les bras face à la frustration de rester cloué au sol.
Bien sûr, un environnement bienveillant et la disponibilité de maman ou papa soutiennent ses progrès. A l’image de l’escalade, le développement neuromoteur se construit par une alternance entre des phases de stabilité et d’instabilité. Avant d’atteindre une prise, il faut parfois se propulser et se faire confiance malgré le risque de chuter. Le sentiment de satisfaction généré par ces changements d’appuis et les encouragements extérieurs sont les moteurs essentiels à sa progression. Si ces derniers ne soutiennent pas suffisamment bébé, ces expériences motrices peuvent amener à des peurs répétées et à une sensation marquée d’insécurité au risque d’associer l’apprentissage à une source de stress.
Bébé enchaine ainsi les retournements dos-ventre et ventre-dos avec de plus en plus de facilité. Son déploiement au sol prend forme jusqu’au jour où il parvient à se maintenir en position quatre pattes grâce à l’activation de son réflexe tonique symétrique du cou. Dans la première phase de ce réflexe, bébé fléchit le cou, ce qui entraine un affaissement du tonus des bras et une extension des jambes. Cette position lui propose un moment de détente en relâchant les muscles des membres supérieurs tout en maintenant son système auditif en alerte. La position d’extension du cou quant à elle induit une augmentation de tonus dans les bras et un fléchissement des jambes. Cela invite bébé à activer son système de perception, sa vision binoculaire et son audition binaurale. Les balancements effectués en position quatre pattes développent à leur tour le système vestibulaire par stimulation du cervelet. Alors, en se balançant, il crée ses premiers rythmes, il entretient ses chaines musculaires et semble bien fier avec un port de tête majestueux et la sensation que le monde s’offre à lui.
Et ça y est, bébé est acteur de ses déplacements ! Il se met à avancer en activant alternativement une jambe et le bras opposés, c’est-à-dire qu’il avance de manière croisée et synchrone. Même si ce schéma moteur n’est pas immédiatement mature et qu’il lui faudra encore de l’entrainement pour le maitriser, c’est bien un mouvement controlatéral qui est attendu ici.
Sans le savoir, le petit d’Homme appréhende le patron moteur le plus fondamental pour la constitution de ses bases neurophysiologiques.
En effet, l’activation simultanée des deux hémicorps via ces mouvements bilatéraux supporte le développement du corps calleux en imposant une activité synchrone au niveau des deux hémisphères. Ce travail collaboratif est primordial pour véhiculer les informations d’un hémisphère à l’autre, faciliter l’accès au langage, à l’orientation spatiale et aux autres capacités cognitives.
L’acquisition de la marche à quatre pattes libère bébé de certains réflexes qui l’avaient jusqu’alors soutenus dans son développement. En effet, lors de la marche à quatre pattes ou de la reptation, bébé contrôle sa tête indépendamment des mouvements des membres inférieurs et supérieurs, preuve que les réflexes étudiés précédemment ont été intégrés (Réflexe de Moro, réflexe tonique symétrique du cou, réflexe tonique asymétrique du cou, réflexe tonique labyrinthique…).
Les mouvements involontaires inconscients que représentaient ces réflexes archaïques deviennent des mouvements volontaires conscients ! Alors qu’ils étaient régis par le tronc cérébral et plus particulièrement par le cervelet, ils sont progressivement inhibés par les centres supérieurs du cerveau laissant la place à une organisation neuronale plus sophistiquée et à l’émergence des réflexes posturaux qui devront rester actifs et le soutenir toute sa vie.
C’est donc ce passage d’une vie dirigée par des réflexes (programmes innés non conscients) à une vie orientée vers un objectif qui est le fondement même de notre évolution future.
Le prochain post s’attardera sur le lien entre les traces résiduelles de certains de ces réflexes (non intégrés) et l’affectation du développement des sphères cognitives, posturales et émotionnelles.