Les images de bancs de poissons ou d’oiseaux migrateurs fascinent par la
beauté et la synchronicité du mouvement d’ensemble à travers lequel chaque élément est régi par un instinct primaire l’invitant à suivre ses congénères. Malgré l’harmonie qui se dégage de ce tableau, ces espèces ne disposent pas d’individualité puisqu’elles sont animées par des programmes innés les reliant les uns aux autres de manière inconditionnelle.
Cette image renvoie à nos propres restrictions lorsque nos schémas moteurs sont encore dirigés par des programmations innées et que nous en sommes prisonniers.
Les raisons du manque d’intégration des réflexes archaïques sont multiples.
C’est parfois lors du développement de l’enfant que leur fonctionnalité a été enrayée. Un accouchement par césarienne, une mobilité entravée par un parc exigu, la présence d’un torticolis congénital à la naissance ou encore un bébé non allaité sont autant de raisons qui peuvent affecter la libre expression de ces réflexes. Plus tard, c’est l’activation d’un stress aigu qui peut réactiver ces programmes d’urgence lorsque le système nerveux est dépassé.
Nous avons vu que ces réflexes amènent bébé vers une motricité volontaire par le biais d’une exploration des trois dimensions de l’espace.
Chacun joue un rôle dans la constitution du schéma corporel et s’investit spécifiquement dans une de ces trois dimensions. Voyons alors les conséquences de l’absence d’intégration de quelques réflexes sur les sphères cognitives, émotionnelles et posturales lorsque bébé devient grand.
Conséquence d’un réflexe tonique asymétrique du cou persistant sur la mise en place fonctionnelle de la latéralité
Le réflexe tonique asymétrique du cou (RTAC) joue un rôle considérable pendant la naissance puisqu’il permet à bébé de se positionner de manière adéquate dans le canal de la naissance et de se mobiliser pour atteindre progressivement la sortie. Il est donc présent in utéro et sert au développement du système corps-esprit jusqu’à l’âge de 6 mois.
Pour rappel, à chaque rotation gauche / droite, les membres périphériques (jambes & bras) sont soumis à une distribution inégale du tonus musculaire.
En effet, lorsque la tête tourne vers la droite, le bras droit et la jambe droite s’étendent alors que le bras gauche et la jambe gauche se fléchissent.
Cette position caractéristique du RTAC s’illustre parfaitement par la position de l’escrimeur illustrée ci-dessous:
A chaque rotation de tête, bébé active l’exploration sensorielle de chacun de ses deux hémicorps. Bébé découvre alors en alternance l’œil droit, l’œil gauche, la main droite, la main gauche, etc., et renforce l’intégration sensorielle de chacun des éléments indépendamment des autres.
L’allaitement constitue d’ailleurs un entrainement remarquable pour stimuler ce réflexe puisque les deux hémicorps sont actifs ou inhibés alternativement selon le sein sur lequel bébé est placé.
Ainsi, le monde apparait différemment selon l’orientation de sa tête et son acuité visuelle qui était de 17cm à la naissance atteint une distance de bras pendant le développement de ce réflexe. L’exploration de l’unilatéralité constitue 1a fondation de la mise en place des dominances (main, œil, pied, oreille…).
En revanche, si ce réflexe n’a pas été suffisamment exploré, il devient persistant et bébé est alors prisonnier de son unilatéralité.
L’acquisition de la marche à quatre pattes devient impossible puisque la rotation de sa tête déstabilise la coordination de ses membres périphériques rendant alors cette position instable.
Certains bébés sous l’emprise d’un RTAC persistant développent des stratégies compensatoires pour parvenir à se déplacer en avançant par exemple sur les fesses en s’aidant des bras, à “trois pattes” ou alors en s’accrochant aux meubles pour parvenir directement à la station debout.
Mais ces stratégies alternatives n’engagent pas les mêmes compétences motrices que représentent la reptation ou la marche à quatre pattes et prive bébé de la mise en place fonctionnelle de sa latéralité.
Or, la latéralité est essentielle et livre d’importants enseignements sur le fonctionnement du cortex moteur. Car, si on y réfléchit, utiliser préférentiellement un pied ou une main est plutôt surprenant. Après tout, nos extrémités sont identiques en termes de muscles, de tendons et d’os tant chez les gauchers que chez les droitiers. Comme souvent, la raison de ce mécanisme prend racine dans la sauvegarde de l’espèce. Déléguer le contrôle de certains processus cérébraux au niveau sous-cortical permet d’économiser de l’énergie au cerveau en rendant certaines tâches automatiques.
Si un danger se présente, un côté préalablement défini comme dominant (jambes pour la fuite, bras pour la lutte…) sera en mesure de prendre le contrôle et mettre l’organisme en action sans avoir à réfléchir à quel pied poser en premier pour fuir. C’est une des raisons pour lesquelles au cours de l’évolution chez l’homme et chez de nombreux animaux, chaque hémisphère s’est spécialisé dans l’exécution de tâches spécifiques. Afin de traiter correctement les informations sensorielles, un des côtés sera dit « dominant » et l’autre sera inhibé. Des expériences très simples permettent de mettre en évidence notre œil ou de notre oreille dominante. Chaque sportif sait d’ailleurs parfaitement quel est son pied ou sa main dominante. En rentrant dans une salle de cours, il est même très probable que le choix de notre siège dépende inconsciemment de ce mécanisme de sorte à optimiser notre qualité d’écoute et d’attention.
Illustrons les conséquences de ce manque d’intégration par un exemple simple: Vous assistez à une conférence et l’enregistrez sur votre téléphone. Le jour où vous souhaitez la réécouter, vous prenez conscience des parasites tel que les bruits de chaises au sol, de toux, de porte qui accompagnent la voix du conférencier. Pour rester concentré, votre cerveau a filtré à ce moment-là les informations inutiles à la compréhension du discours de l’orateur.
Le brouhaha révélé par le magnétophone donne une idée de ce qui se passe en toile de fond pour une personne disposant d’une latéralisation dysfonctionnelle sur le plan auditif.
C’est malheureusement cette sensation d’écho, de bruit parasite constant que perçoit ce type d’enfant lorsqu’il se retrouve en salle de cours, cette absence de filtre le plongeant dans un état de confusion et donnant lieu à des étiquettes bien connues (troubles de la concentration, de l’attention…).
Puisque son cerveau n’a pas automatisé l’inhibition des entrées sensorielles, il doit en permanence se concentrer pour filtrer intentionnellement la voix du professeur. Pour optimiser son attention, il est souvent retrouvé dans des postures improbables pour masquer un œil et une oreille ; couché sur son avant-bras avec un œil fermé. Cette stratégie le dessert d’autant plus que son cerveau reçoit beaucoup moins d’informations sensorielles, l’obligeant à interpréter ce qui lui manque.
Alors, il échange les mots, les lettres, comble les trous et n’est toujours pas en mesure de différencier sa gauche et sa droite puisque ce schéma corporel n’a jamais été intégré. Lors de la lecture, ses yeux de dédoublent rapidement et les lettres s’envolent lorsqu’il franchit la ligne médiane (intersection entre les deux yeux). La fatigue extrême que suscite cet effort permanent le rend indisponible aux notions spécifiques abordées en classe. En effet, le cerveau étant mono-tâche, son attention ne peut se porter en même temps sur la sélection d’informations et sur le sens même de ces informations. Dépourvu de modèle fiable quant à l’utilisation langagière, ses capacités de communication et d’expression verbale sont aussi affectées. Au-delà des difficultés scolaires et cognitives que cela implique, il est facile d’imaginer l’incidence que ces mécanismes peuvent avoir sur sa sphère émotionnelle et sociale.
De plus, la persistance du RTAC peut avoir des conséquences au niveau structurel en affectant particulièrement le fonctionnement des muscles carrés des lombes dans le bas du dos. Leur sur stimulation à chaque rotation de tête génère des tensions conduisant à un manque de stabilité et à une mauvaise gestion de l’équilibre.
Selon certaines études, entre 75 et 80% des enfants en difficultés scolaires présenteraient un RTAC actif, en faisant un des réflexes les plus impliqués dans chez les enfants en difficultés d’apprentissage.
Conséquence d’un réflexe de Moro persistant
Alors que le RTAC invite bébé à explorer sa dimension gauche / droite, le réflexe bien connu de Moro est impliqué dans la dimension haut / bas qui représente l’axe du centrage.
Ce réflexe présent également à la naissance s’exprime lors de la 1ère inspiration hors de la matrice maternelle et il se caractérise par une phase d’extension (ouverture de l’axe) suivie d’une phase d’abduction (fermeture de l’axe) et enfin d’une embrassade avec le parent (antidote pour sortir du schème réflexe).
Nous avons vu dans le post précédent que son activation était liée au changement de la position de la tête dans l’espace engendrant une sensation de désorganisation et de désorientation dans le corps de bébé.
S’en suit une réponse au niveau des marqueurs biologiques, puisque les hormones de stress grimpent, conduisant la mère à prendre son petit dans ses bras pour le rassurer.
Selon le docteur Svetlana Masgutova, l’expression de ce réflexe est un appel à entretenir le contact physique dans le couple mère – enfant et par conséquent renforcer les liens d’attachement. Par analogie avec la théorie de John Bowlby (théorie de l’attachement), c’est l’occasion pour bébé de valider la cohérence et la fiabilité des réponses de ses parents vis-à-vis de ses besoins affectifs.
Ce réflexe est donc directement impliqué dans les mécanismes de fuite et de survie. Il fonctionne d’ailleurs en synergie avec le réflexe d’agrippement. Ce qui expliquerait qu’en cas de danger, à l’image des primates, bébé puisse s’attacher cette fois physiquement à sa mère pour envisager la fuite.
Un réflexe de Moro persistant est véritablement néfaste puisqu’il peut traduire une dysfonction dans la régulation des hormones de stress. En effet, le système de régulation hormonal qui régit les réactions de stress est appelé axe HPA.
Le centre de contrôle se situe au niveau de l’hypothalamus qui informe constamment les centres de libérations hormonales (hypophyse, glandes surrénales…) afin de répondre à la présence d’un danger.
Lorsque la menace a disparu, une boule rétroactive permet de freiner la libération de ces hormones conduisant à un retour à l’homéostasie.
Une surstimulation de cet axe est délétère pour l’organisme car elle affecte le fonctionnement de la boucle de contrôle qui ne répond plus face à l’information de la présence excessive de cortisol. La présence inadéquate de cortisol est véritablement toxique puisqu’elle affecte entres autres les récepteurs de l’hippocampe, siège des processus de mémorisation. De plus, la personne perçoit le monde par le filtre de la peur l’enfermant dans une sensation de menace permanente et en l’éloignant de l’accès à la pensée logique et rationnelle.
Ainsi, la présence de trace résiduelle de ce réflexe dans notre vie d’adulte se traduit par de mauvaises capacités d’adaptation, des problèmes lors de la prise de décisions ou une difficulté à faire des choix.
Or, dans nos sociétés, nous grandissons avec l’idée que la séparation physique du couple mère enfant et que la domestication du sommeil sont des facteurs favorables à l’apprentissage de l’autonomie de l’enfant.
Privé de la proximité maternelle, l’enfant n’est alors plus en mesure de s’apaiser lorsque l’amygdale s’affole et que les marqueurs de stress s’envolent. C’est justement dans la position couchée que l’expression de ce réflexe est souvent observée conduisant parfois à emmailloter l’enfant afin qu’il se sente contenu et se rassemble.
C’est donc bien à ce moment que bébé témoigne de son besoin d’être pris dans les bras pour sortir de ce schème réflexe, trouver de l’apaisement et installer sa confiance dans les réponses de sécurité que lui témoignent ses parents.
De plus, en tant qu’anciens chasseurs cueilleurs, le code génétique de bébé contient l’information selon laquelle être allongé seul dans le noir et distancé de sa mère revient à s’exposer à un risque de mort. Malgré l’absence de prédateurs sauvages dans nos sociétés, notre cerveau d’homo sapiens n’a pas évolué à la même vitesse que nos modes de vie modernes, explique Peter Gray, neurobiologiste en parlant de “décalage évolutionniste”.
Il faut bien rappeler que cette programmation motrice a été pensée par l’évolution à des fins de survie et qu’elle reste identique depuis la nuit des temps !
Nigel Nicholson disait d’ailleurs : « Vous pouvez sortir la personne de l’âge de pierre mais vous ne pouvez pas sortir l’âge de pierre de la personne. ».
Alors que la persistance du RTAC parasite l’accès aux processus cognitifs de manière général, le réflexe de Moro perturbe l’apprentissage lorsque l’enfant est soumis au stress. Il peut s’agir des enfants qui connaissent par cœur leurs leçons à la maison mais qui sont confrontés au syndrome de la page blanche en période d’examen. Paralysé par la peur, ils perdent l’accès à leurs compétences cognitives puisque le néocortex est « débranché ».
Pour conclure, la bonne intégration du réflexe de Moro participe à l’installation de la confiance en soi, à l’équilibre émotionnel, aux capacités d’adaptation. Le sentiment de sécurité intérieure qu’il favorise permet d’accéder à son potentiel lors de situations nouvelles, stressantes et d’aborder l’apprentissage sereinement.
Ainsi, un développement neuromoteur enraillé par la persistance de certains réflexes aura des conséquences sur les sphères posturales, émotionnelles et cognitives de l’adulte en devenir.
Si les liens sont aussi étroits entre ces trois sphères, c’est que les processus cognitifs sont à la base profondément enracinés dans le système sensorimoteur.
Ce dernier sujet fera l’objet d’un post prochainement.